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Journal d'un voyageur pendant la guerre

Жорж Санд

George Sand

Journal d'un voyageur pendant la guerre

В В В В Nohant, 15 septembre 1870.

Quelle annГ©e, mon Dieu! et comme la vie nous a Г©tГ© rigoureuse! La vie est un bien pourtant, un bien absolu, qui ne se perd ni ne diminue dans le sublime total universel. Les hommes de ce petit monde oГ№ nous sommes n'en ont encore qu'une notion confuse, un sentiment fiГ©vreux, douloureux, Г©troit. Ils font un misГ©rable usage des fugitives annГ©es oГ№ ils croient pouvoir dire moi, sans songer qu'avant et aprГЁs cette passagГЁre affirmation, leur moi a dГ©jГ  Г©tГ© et sera encore un moi inconscient peut-ГЄtre de l'avenir et du passГ©, mais toujours plus affirmatif et plus accusГ©.

Des milliers d'hommes viennent de joncher les champs de bataille de leurs cadavres mutilГ©s. Chers ГЄtres pleurГ©s! une grande Гўme s'Г©lГЁve avec la fumГ©e de votre sang injustement, odieusement rГ©pandu pour la cause des princes de la terre. Dieu seul sait comment cette Гўme magnanime se rГ©partira dans les veines de l'humanitГ©; mais nous savons au moins qu'une partie de la vie de ces morts passe en nous et y dГ©cuple l'amour du vrai, l'horreur de la guerre pour la guerre, le besoin d'aimer, le sentiment de la vie idГ©ale, qui n'est autre que la vie normale telle que nous sommes appelГ©s Г  la connaГ®tre. De cette Г©treinte furieuse de deux races sortira un jour la fraternitГ©, qui est la loi future des races civilisГ©es. Ta mort, Гґ grand cadavre des armГ©es, ne sera donc pas perdue, et chacun de nous portera dans son sein un des coeurs qui ont cessГ© de battre.

Ces réflexions me saisissent au lever du soleil, après quatre jours de fièvre que vient de dissiper ou plutôt d'épuiser une nuit d'insomnie. En ouvrant ma fenêtre, en aspirant la fraîcheur du matin et le profond silence d'une campagne encore matériellement tranquille, je me demande si tout ce que je souffre depuis six semaines n'est point un rêve. Est-il possible que ce matin bleu, cette verdure renouvelée après un été torride, ces nuages roses qui montent dans le ciel, ces rayons d'or qui percent les branches, ne soient pas l'aurore d'un jour heureux et pur? Est-il possible que les héros de nos places de guerre souffrent mille morts à cette heure, et que Paris entende déjà peut-être gronder le canon allemand autour de ses murailles? Non, cela n'est pas. J'ai eu le cauchemar, la fièvre a déchaîné sur moi ses fantômes, elle m'a brisée. Je m'éveille, tout est comme auparavant. Les vendangeurs passent, les coqs chantent, le soleil étend sur l'herbe ses tapis de lumière, les enfants rient sur le chemin. – Horreur! voilà des blessés qui reviennent, des conscrits qui partent: malheur à moi, je n'avais pas rêvé!

Et devant moi se déroule de nouveau cette funeste demi-année dont j'ai bu l'amertume en silence: Mon fils gravement malade pendant seize nuits que j'ai passées à son chevet, – attendant d'heure en heure, durant plusieurs de ces nuits lugubres, que ma belle-fille m'apportât des nouvelles de mes deux petits-enfants sérieusement malades aussi: et puis, quelques jours plus tard, quand le printemps splendide éclatait en pluie de fleurs sur nos têtes, vingt autres nuits passées auprès de mon fils malade encore. Et puis une grande fatigue, le travail en retard, un effort désespéré pour reprendre ma tâche au milieu d'un été que je n'ai jamais vu, que je ne croyais pas possible dans nos climats tempérés: des journées où le thermomètre à l'ombre montait à 45 degrés, plus un brin d'herbe, plus une fleur au 1

juillet, les arbres jaunis perdant leurs feuilles, la terre fendue s'ouvrant comme pour nous ensevelir, l'effroi de manquer d'eau d'un jour Г  l'autre, l'effroi des maladies et de la misГЁre pour tout ce pauvre monde dГ©couragГ© de demander Г  la terre ce qu'elle refusait obstinГ©ment Г  son travail, la consternation de sa fauchaison Г  peu prГЁs nulle, la consternation de sa moisson misГ©rable, terrible sous cette chaleur d'Afrique qui prena